Comité 1905 / 2005 de Seine-Maritime Accueil  
        
   
Compte rendu
   
Mercredi 23 février 2005
à 20h30 à l’Amphithéâtre du CHU de Rouen
   

Conférence-Débat
Laïcité, santé et exercice de la médecine
Avec Hélène Hernandez Infirmière, syndicaliste 
et Sylviane Grelet Militante du Planning Familial 

Intervention de Sylviane Grellet

Un point de vue féministe sur la laïcité dans le secteur de la santé :

La question des croyances religieuses où tout est sacré : la virginité, la fidélité, la pudeur ; se cristallise dans les lieux de soins parce que tout y est question de rapport au corps.

Les exemples où coutumes, traditions et religions s’entremêlent sont nombreux :
Le haut conseil à l’intégration estime à plus de 70 000 adolescentes de 10 à 18 ans concernées par le mariage forcé. L’île de France et la haute Normandie en sont particulièrement concernées. Il est actuellement considéré comme la principale violence à l’encontre des jeunes filles issues de l’immigration. Sa hausse correspond aux jeunes filles nées du regroupement familial arrivées à l’âge du mariage.

Selon le GAMS (groupe contre les mutilations sexuelles) : En France en raison des exigences de virginité, 30 000 femmes et 35 000 fillettes sont excisées ou menacées de mutilations sexuelles. Ces pratiques qui vont de l’excision partielle jusqu’à l’infibulation des organes génitaux externes sont entre autres à l’origine de souffrances psychiques et de complications infectieuses. En Haute Normandie 1800 femmes sont excisées et 2000 fillettes en sont menacées.

Pour des raisons d’ordre moral, les droits des femmes ne sont pas toujours respecté à l’hôpital : L’IVG (interruption volontaire de grossesse) est la seule situation où le personnel médical a le droit de faire valoir ses convictions religieuses et invoquer la clause de conscience. Cette pratique médicale a toujours été dévalorisée et la relève des médecins militants n’est pas garantie.

Les militantes féministes doivent régulièrement combattre les obstacles à leurs droits : l’amendement Garraud qui visait à attribuer le statut de personne à l’embryon ou le centre anti-IVG « la maison d’Ariane » en Vendée subventionné par des fonds publics et inauguré par Philippe De Villiers.

Un tour d’horizon en Europe peut faire craindre un avenir sombre en matière de droits des femmes :
La très catholique Irlande interdit l’IVG et 7000 irlandaises vont avorter chaque année chez Blair. Au Portugal l’IVG est passible de prison et le nouveau 1er ministre socialiste a déclaré que cette question devait attendre et la démocratie polonaise l’interdit depuis 1989…
Quant à la constitution européenne : la contraception, l’IVG et la laïcité ne font pas partie de ses préoccupations !

Dans ce monde anxiogène et si dur à vivre générant tant de peurs : des guerres, du nucléaire, du changement climatique, des maladies, de la pauvreté du chômage ; les religions font diversion et empêchent la pensée rationnelle et l’espoir en un autre monde possible. 

   

La laïcité mise à mal dans les services de santé
Intervention de Hélène HERNANDEZ

Sans remonter très loin dans l’histoire du système de santé en France, nous ne pouvons oublier les religieuses en habit et cornette et le grand crucifix ornant quelque couloir hospitalier. Nous héritons d’un système construit au vrai sens du terme sur des bases religieuses.

Quelques éléments puisés dans l’histoire
Sur le principe que l’œuvre de charité efface le pêché et ouvre la porte du paradis, l’aumône s’accompagne le plus souvent d’une démarche toute religieuse. « Dieu doit-il être accusé d’injustice pour avoir irrégulièrement réparti les biens ? Tu es dans l’abondance et ton voisin réduit à mendier. Pourquoi cela ? Pour que tous les deux acquériez des mérites, toi, pour une bonne gestion, lui pour une grande patience » (Saint Thomas d’Aquin) [3]. Dès la fondation de l’Hôtel Dieu, prémisse des hôpitaux, la direction en est assurée par l’évêque puis à partir de 1006 par le chapitre de Notre-Dame. En 1505, la gestion temporelle passe à des administrateurs laïcs mais l’évêque conserve la direction spirituelle. Les hôpitaux sont chargés de recevoir les malades, mais aussi les pauvres passants, les pèlerins, les vagabonds ; les hôpitaux généraux du XVIIe siècle renfermeront les mendiants pour les forcer à travailler et pour les instruire dans la religion chrétienne [3] car sous la Renaissance, la mendicité doit disparaître du monde chrétien. D’où le devoir par le clergé de contrôler les hôpitaux et d’assister les pauvres en respectant le commandement divin : « tu gagneras ton pain à la sueur de ton front ». Mais très tôt se sont constitués dans les diocèses méridionaux (dès 1150) des institutions d’origine laïque pour subvenir aux besoins de l’assistance, preuve sans doute que l’aide organisée par le clergé manquait d’efficacité.

Jusqu’à la fin du Second empire, l’assistance reste un problème étranger aux pouvoirs publics. Avec le développement de l’industrialisation, et ce jusqu’au début du XXe siècle, il faut de la main d’œuvre saine et productive. C’est l’essor du mutualisme d’une part, et d’autre part d’une politique sanitaire de prévention des épidémies et de la tuberculose dans la construction des cités ouvrières. L’Etat peu à peu prend en charge la santé de la population : une morale laïque s’est substituée à la morale des Eglises dont les dépositaires sont l’école et la médecine. Mais l’Etat ne s’est pas préoccupé de la situation des personnes handicapées, laissant là encore les religieux et les sectes y officier. 

Aujourd’hui, dans la cour d’honneur du Centre hospitalier public Saint-Louis à Paris, flotte au vent la bannière croisée de l’Ordre de Malte. Ce même Ordre, militaire et soignant, gère des maisons d’accueil spécialisées et des foyers accueillant des personnes handicapées. Dans bon nombre d’hôpitaux, une chapelle ou une église trône en bonne place : affiche des offices et boîte à lettres bien signalées dans le hall d’entrée. Sur les questions de bioéthiques, c’est François Mitterrand qui mit en place le Comité Consultatif national d’éthique en 1983 : les 4 plus grandes religions y sont représentées au plan national. A l’échelon de l’hôpital, l’organisation des Comités d’éthique procède de la même façon. 

La pratique religieuse des personnes soignées
A partir du moment où l’on considère que Dieu conduit les destinées humaines, toutes les religions se rejoignent. C’est soit Dieu soit la déesse Nature qui priment sur la raison : ainsi pas de prévention, pas de soulagement de la douleur, pas de traitement palliatif, pas de corps étranger dans le corps humain, et cette notion de pur et d’impur qui s’applique spécialement sur les femmes du fait de leurs menstrues. 

Ainsi les catholiques intégristes sont contre la contraception, contre l’avortement, contre les procréations médicalement assistées. Et ils alimentent les commandos anti-IVG depuis 1990 pour s’opposer à la pratique légale. Et c’est le Pape qui annone depuis des années contre la prévention du Sida et qui maintenant compare l’avortement à la shoah [7]. Le même discours depuis des millénaires pour que les femmes soient soumises à la loi et au bon vouloir des hommes et, entravées par des maternités non désirées.

Quant aux témoins de Jéhovah, ils refusent toute transfusion. Le Collège national des gynécologues et obstétriciens français s’est alarmé de l’ordonnance du tribunal administratif de Lille du 25 août 2002 sanctionnant la transfusion sanguine d’une patiente témoin de Jéhovah. En effet, le retard à la mise en route des traitements de l’hémorragie –incluant la transfusion- est le principal facteur de risque d’une évolution fatale [2], l’hémorragie lors de l’accouchement est la première cause de mortalité maternelle : le risque de décès maternel est multiplié par 44 chez les femmes témoins de Jéhovah en l’absence de transfusion. 

Pour les musulmans, outre la prière menée cinq fois par jour et pour laquelle il convient d’arranger les chambres de l’hôpital, il faut parfois convaincre certains patients de s’abstenir de jeûne du ramadan du fait de leur fragilité. Chez les fondamentalistes, les femmes musulmanes ne peuvent être examinées que par du personnel féminin. Une de mes amies infirmières relatait qu’elle avait été réquisitionnée du fin fond de l’hôpital pour une piqûre chez une femme dont le mari interdisait à tout homme (médecin ou infirmier) d’approcher. Mais c’est aussi le refus de césarienne au motif que cela peut entraîner une baisse du nombre de grossesses. De même la ligature des trompes est honnie alors que les gynécologues-obstétriciens sont sollicités pour des certificats de virginité ou pour des réfection d’hymen [4].

Dans le cas de la religion juive, rappelons que les menstrues sont symbole d’impureté. Une femme même malade ne peut être aidée par son mari si elle a un malaise. Ce dernier ne peut la secourir, celle-ci étant considérée comme impure [1]. Dans le livre de la Génèse : Le seigneur dit ensuite à la femme : « je rendrai tes grossesses pénibles, tu souffriras pour mettre au monde tes enfants ». 

Comme les musulmans, les juifs, bien sûr, ne mangent pas de porc. Les uns mangent allal, les autres cacher. Le service des repas doit en tenir compte comme pour tous les autres régimes alimentaires mais en outre, les couverts de service ne doivent pas avoir toucher du porc. Pour les plus stricts, les couverts et l’assiette ne doivent pas être souillés par de la nourriture non cacher. Ainsi les familles juives apportent elles-mêmes le repas et le couvert cacher à la personne soignée. Si bien que le service hôtelier doit être organisé en conséquence tout en obéissant à des règles d’hygiène de plus en plus strictes. La quadrature du cercle dans certaines situations !

Pour les adeptes de l’hindouisme, l’examen clinique doit se faire au travers des vêtements et éviter tout déshabillage.

En conclusion
Que faire en tant que soignants, que font les syndicalistes et les politiques ? La loi du 4 mars 2002 stipule des droits des patients à respecter : d’un côté le respect des décisions du patient, de l’autre le risque de mort dans certains cas ! De même, d’un côté la clause de conscience, de l’autre le droit à l’avortement ! Et les lois de bioéthique ? et le Comité Consultatif national d’éthique ? et les Sectes ? et les intégristes et fondamentalistes ? Et l’organisation de l’espace, des soins, des repas, … ?
N’avons-nous pas à rappeler que l’objet de l’hôpital et des services de santé, c’est de soigner avant tout, envers et contre tout. 

Références :
[1] BEZECOURT J., La religion contre les femmes, http.//www.atheism.org
[2] CARBONNE B., Communiqué de presse Transfusion des témoins de Jéhovah, 12.09.2002 (Secrétaire général du Collège national des gynécologues et obstétriciens français)
[3] GUESCLIN A. et GUILLAUME P. (dir.), De la charité médiévale à la Sécurité sociale, Paris, Les Editions ouvrières, coll. Patrimoine, 1992
[4] LANSAC J, BLANC B., CARBONNE B., MONNIER-BARBARINO P., BELAISCH-ALLART J., « Laïques et fiers de l’être », in Libération, Rebonds, 22.04.2004
[5] MOREAU D., « Entre charia et laïcité, l’hôpital public en résistance ? », in Soins Cadres, n°53, février 2005, p. 32
[6] SCIENCES HUMAINES (Revue), La religion, un enjeu pour les sociétés, Hors-série n°41, juin-juillet-août 2003
[7] TINCQ H., « Jean-Paul II compare avortement, nazisme et communisme », in Le Monde, 24.02.02005

Débat du 23 février 2005

Le débat a donné lieu a des échanges intéressants entre les intervenantes et la salle. En voici quelques extraits significatifs.

- Dans les soins, les problèmes sont de plus en plus difficiles à gérer à cause des demandes individuelles, souvent instrumentalisées par des intégristes ou des fondamentalistes. Les personnels sont fréquemment accusés de racisme ou de colonialisme.

- La loi de 2002 a accordé aux soignés des droits étendus, et notamment celui de pouvoir refuser un traitement, même si le pronostic vital est en jeu : refus de transfusion sanguine, refus pour des femmes (souvent signifiés ou imposés par leurs maris) d'être soigné par des hommes etc.

- Puisque le cléricalisme, c'est l'intervention du clergé (et des églises) dans la politique, nous n'avons aucun scrupule en tant que démocrates, à nous déclarer anticléricaux.

- La laïcité, c'est d'une part le respect des croyances, tant qu'elles demeurent dans le domaine de la sphère privée, c'est d'autre part le refus d'ingérence des religions et des églises dans la sphère publique. Dans une démocratie, les droits des hommes priment les lois de(s) Dieu(x). 

- La culture se construit, s'enrichit. S'il est tout naturel d'admettre qu'il existe une culture scientifique car elle est basée sur la rationalité, comment admettre qu'il puisse exister une culture religieuse, puisque les religions sont fondées sur des dogmes ?

- Les religions font de la femme un être inférieur et soumis à l'homme. Les laïques ne peuvent que s'y opposer car la laïcité, c'est l'égalité.

- Les politiques et les syndicalistes ne prennent pas assez la mesure de ce qui se passe en matière de santé à cause du non-respect de la laïcité. Il est urgent qu'ils réagissent.

   
   
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